/ Trois questions à Yves Duteil

Yves Duteil promet un grand moment de musique, de plaisir et d’émotion avec son spectacle 40 ans plus tard. Au théâtre Les Variétés, le 31 janvier prochain, le récipiendaire du Grand Prix de Poésie 2018 de la Société des Poètes Français, vous proposera un voyage entre titres-phares et chansons nouvelles, une formule résolument acoustique, où la poésie des mots s’habillera d’inspirations rythmiques d’ailleurs. Le titre de son spectacle a une double dimension. D’une part, il s’agit du titre d’un poème devenu chanson d’amour qu’il dédie à Noëlle son épouse, d’autre part, c’est une référence à 40 ans de carrière, un bilan, une analyse, ponctuée des chansons de son plus récent album Respect, le 15e.
Lors d’une interview parue dans un quotidien, Yves Duteil expliquait que c’est en marchant dans les rues de Paris avec 1,5 million de Français pour clamer « Je suis Charlie » qu’il a ressenti l’urgence d’écrire. « Je n’ai jamais perdu l’envie de faire des chansons, mais faire un album, c’est autre chose. J’ai perdu aussi une amie le 13 novembre 2015 à la terrasse de la Belle Équipe. J’avais besoin de mettre des mots sur ces maux », expliquait-il.
Aujourd’hui, son spectacle, il le promène sur les routes de France, 40 ans de chansons, de scène et toujours la même voix, la même fougue et la même gentillesse…

Vous dites que votre spectacle 40 ans plus tard est un assemblage très délicat. Que voulez-vous dire ?
Un spectacle, c’est un équilibre, c’est une alchimie. On a plusieurs façons de penser un spectacle. On peut aligner des succès, on peut en faire comme une espèce de compilations de tubes de toute une carrière, mais on peut aussi essayer de faire monter l’émotion, de privilégier les mots en privilégiant la musique. Pour ce spectacle, l’équilibre musical on a mis du temps à le trouver parce que le disque Respect est extrêmement élaboré avec 22 musiciens, c’est un album très orchestré, du coup sur scène on ne peut pas traduire 22 musiciens à quatre. Donc, il a fallu le repenser différemment et ça nous a pris pas mal de temps. Mais au final, je suis très heureux de cette formule, car je suis au piano et à la guitare, il n’y a pas d’autre pianiste ni de guitariste, ce qui veut dire que je suis très exposé en tant que musicien et en même temps, il faut arriver à faire passer l’émotion. Pour y arriver, je suis soutenu par un contrebassiste, un violoncelliste et un percussionniste. Et rester dans l’acoustique avec un spectacle très dynamique et en même temps très poétique, tout cela est un équilibre délicat. On est de plus en plus heureux dans ce spectacle où il y a une vraie complicité sur scène, un échange de plaisirs qui se communique au public.

Parlez-nous de votre dernier album Respect enregistré avec 22 musiciens ? En quoi est-il le fruit d’un travail ambitieux ?
Ce n’est pas forcément le nombre de musiciens, mais c’est surtout l’esprit musical avec une forme de voyage un peu, avec des inspirations parfois jazz, parfois bossa, parfois classique, parfois extrêmement dépouillé et parfois très foisonnant musicalement. Alors oui c’est un projet ambitieux qui nous a pris longtemps. L’écriture a aussi pris longtemps parce que c’était un éventail de sujets très larges en partant de toutes les émotions que nous traversons tous ensemble en ce moment qui sont à la fois nombreuses, anxiogènes, mais aussi en même temps quotidien et très intime. Il y a autant de chansons sur les attentats que des chansons de portraits de proches et de gens que j’aime. Il y a aussi des évocations de défense de la planète avec La légende des immortels. Respect traite à la fois d’un sujet profond et à la fois léger. C’est ce qui fait de cet album sa texture particulière.
La chanson Le piano a cent ans prend, quant à elle, en compte le passé, ce qu’il y a eu avant moi, mais aussi mon enfance. Je dis comment la musique est entrée dans ma vie. Ce piano a vraiment existé. Il était dans le salon à la maison et il a été à l’origine de ma carrière. J’ai commencé à en jouer à l’âge de dix ans, mais pas forcément en étudiant la musique. J’y allais à l’instinct, à l’oreille et c’est là que j’ai commencé à vraiment avoir envie de musique pour toute ma vie. Cette chanson est d’ailleurs inspirée par un dessin animé québécois, Crac, le très beau film d’animation de Frédéric Back, qui raconte l’histoire d’une chaise berçante qui de familles en familles, a traversé les générations, un peu comme notre piano.

En tournée dans toute la France, après le Québec et la Belgique, quelle est la journée type d’Yves Duteil ?
C’est une vie de saltimbanque. On part en voiture ou en train pour l’étape suivante. On déjeune sur la route en équipe. En général, pour un spectacle du soir, on arrive en début ou milieu d’après-midi pour faire une balance de son. L’équipe technique part avant nous. Elle installe le matériel, et nous, on arrive un peu plus tard, pour faire la répétition du son. Dans l’après-midi, on est vraiment dans la technique, l’installation, les instruments, les balances. Et puis, on va rapidement dîner, car je dîne toujours un peu avant le spectacle parce que j’ai vraiment besoin de manger pour me donner de l’énergie. Ensuite, c’est le concert, à la fin on va à la rencontre du public. Et après, sagement, on rentre, parce que s’il y a une étape le lendemain, il faut qu’on soit en forme, pas fatigués surtout si on a de la route à faire.

Vous préférez cette vie de saltimbanque à celle plus tranquille de l’écriture…
Elles s’alternent. L’une est la récompense de l’autre en fait. Travailler comme ça dans le silence de son atelier du métier à tisser des chansons, sur les textes puis après mettre tout ça en musique avec des enregistrements innombrables de maquettes jusqu’à arriver à une forme acceptable pour transmettre à un orchestrateur. La création est passionnante et très prenante. Lorsque je suis en période d’écriture, je travaille très tôt le matin, comme Brassens le faisait. Et ça marche parce qu’on a l’esprit frais, personne ne nous dérange donc on est dans les meilleures conditions possibles, bien réveillé, bien reposé. L’inspiration vient de façon plus facile. Ce moment de création, je l’aime énormément. J’ai besoin de ça pour me sentir artiste, c’est pour ça que je ne voyage pas trop dans la nostalgie en faisant, comme je le disais, un alignement de tubes mais plutôt une succession de chansons qui se complètent les unes les autres. Car elles racontent toute une histoire. Elles sont d’ailleurs, toutes ou presque, autobiographiques. Les images sont très intimes, très personnelles et un fil rouge d’émotion, pour moi, dans le spectacle fait qu’une chanson appelle l’autre.